Autour de Mirko Le Petit Duc - Il Piccolo Duca


Le Décor

Débutant comme une histoire de guerre, comme une histoire d’occupation et de résistance, la bande fait incontestablement penser à la 2ème guerre mondiale en Europe et à l’occupation allemande. Mais la patrie de Mirko, la Maldovie (qui deviendra Maldoror avec l'autocensure des éditions LUG) et le pays belligérant, la Mocranie, ont quelque chose d'intemporel et éloigné voire exotique (renforcé d'ailleurs par les paysages "devitiens") qui leur confèrent une touche de dépaysement malgré que le lecteur sente qu'ils sont de proches pays.

Cependant, ces faits, encore frais dans les mémoires en 1955, étaient d’ailleurs retracés dans nombre de journaux illustrés et fascicules de l’époque, depuis "Battler Britton" et "Garry" en passant par "X13" ou "Les 5 as" et bien d’autres encore.

Kiwi n°1

Kiwi n°1

Kiwi n°38

D’ailleurs, Auguste Vistel, l'un des directeurs des éditions LUG éditant Kiwi, avait participé à la résistance durant cette période sous le nom de Colonel Alban.
Marcel Navarro, son associé, bien que plus jeune, avait été maquettiste dans un journal (LA VIE DES METIERS) avant de travailler pour Carozzo à la SAGE en 1940.
Il était donc logique qu’ayant vécu, l'un ces événements, l'autre la période de guerre, ils mettent en scène des aventures les ayant touchés de près.

Mais si la légende (qu'il a orchestrée) impute à Marcel Navarro la conception des premières planches du Petit Duc, celui-ci a en réalité été entièrement pensé par son animateur et créateur DEVI, pseudonyme d’Antonio De Vita.

Très rapidement Devi a fait évoluer Mirko dans des mondes irréels, des civilisations disparues ou décalées dans le temps, dans des décors d’une autre époque ou même surréalistes. Le Petit Duc plonge entièrement dans le merveilleux, le fantastique et la science fiction, dans des aventures mystérieuses et parfois interminables au fil des numéros, voire même rocambolesques mais toujours passionnantes, prenantes et au rythme haletant.

Les aventures sont parfois inspirées de films de série B de ces années là mais on est envahi par la magie de ces décors où tout est démesuré, contrasté, gigantesque et hors de proportion.

"The earth versus the flying saucers" de Fred Sears (1956)   Kiwi n°50 (1959)

Cet extra-terrestre ne ressemble-t-il pas à Rox, le robot?

(A noter que, vraisemblablement marqué par le film de Fellini, Devi fait apparaître Gelsomina, l'héroïne de "La Strada" (1954), durant plusieurs épisodes [Kiwi n°46, 47, 48, 54], en l'ôtant des griffes de son tortionnaire).

Le dessin, comme l’histoire, est véritablement exacerbé, peut-être à l’image de son génial créateur, qui est resté totalement inconnu.

Le graphisme a une qualité rare chez Devi, jamais égalé, tout en noir et blanc, sans aucun grisé, sans aucune demi-teinte, binaire dirions-nous aujourd'hui. A chaque vignette se profilent des contrastes tranchants, des ombres angoissantes, des ciels d’un noir d’encre, des contours inquiétants.

Kiwi n°13

Kiwi n°13

Kiwi n°21

Kiwi n°21

Kiwi n°24

Les premiers plans et les arrières plans sont alternativement teinte de nuit et mettent ainsi en évidence l’ensemble et l’intégralité de la scène. Il n’y a pas de dégradé. Tout est sans compromis.

Kiwi n°22

Kiwi n°28

Kiwi n°39


Les personnages en action sont également à l’avenant et il en est de même des décors et de l’architecture.

Les gouffres sont sans fond et les abîmes insondables, les arbres fantasmagoriques et démesurés, les branches interminables, les feuillages prolifiquement touffus.

Kiwi n°13

Kiwi n°63

Kiwi n°63


Démesurés également les maisons, les bâtiments et architectures. Les pièces sont immenses, quasi vides ou peu habitées, voire pas du tout. Les escaliers sont gigantesques et disproportionnés, interminables aussi.

Kiwi n°48

Kiwi n°56

Les rues, larges, profondes, irréelles, à la bizarre conception, sont souvent désertes. Les villes, curieuses, fantomatiques la plupart du temps, laissent planer l’anxiété, l’angoisse de quelque danger latent, tapi, rôdant, présent dans l’air et semblant vous fondre dessus au détour d’une rue.

Kiwi n°55

Kiwi n°20


Dans ces lieux il y a peu de voitures. Seul l’envahisseur d’ailleurs semble en posséder, comme un signe de modernisme, de richesse. Des charrettes par contre, tirées par bœufs ou chevaux, quelques trains, sont la seule concession à la civilisation. Même dans les endroits habités et contemporains, tout contribue à l’intemporalité de la scène, de l’action. Les murs sont immenses, les ponts gigantesques et les moellons qui les composent d’une taille impressionnante. Les hangars, greniers, caves et soupirails, vastes, profonds et mystérieux sont de véritables dédales. Même dans ces villes le temps semble figé, hors époque, irréel, onirique.

Kiwi n°56

Kiwi n°39


La végétation, toujours luxuriante à l’excès, abrite parfois les personnages, perpétuellement en mouvement, d’une extrême souplesse, d’une agilité extraordinaire, se jetant dans le vide du haut de tours ou de toîts pour se raccrocher in extremis à quelque support providentiel. Les sauts sont vertigineux et surhumains, les courses échevelées, irréelles, incroyables. Les héros ne courent pas, ils sautent ; ils ne marchent pas, ils enjambent.

Kiwi n°43

Kiwi n°43

 

Les scènes d'action sont tout aussi démesurées. Les corps sont propulsés au moindre choc, au moindre coup de poing, renversés, tordus, se contorsionnant dans des positions impossibles où l’agilité insoupçonnable laisse pantois.

Le mouvement et l’action sont là, toujours présents, frénétiques, à chaque page, à chaque bande, à chaque vignette.

Kiwi n°38

Kiwi n°51

Kiwi n°56


L'allure, la stature et la physionomie des personnages ont également leur extrême importance. Les héros, leurs amis, les bons, ont des visages agréables. Ils sont beaux. Leurs traits sont nobles, fins, empreints de dignité et d’aspect fort agréable. Les corps sont musclés, ciselés et bien proportionnés. De même les adversaires de Mirko, honnêtes, à l’âme pure ou généreux, ont pareillement ces traits. Ceux qui combattent loyalement le Petit Duc sont dessinés de la même manière et sont également auréolés de noblesse.

Kiwi n°11

Kiwi n°37

Kiwi n°27

Kiwi n°27

 

Les ennemis par contre, se laissant, qui plus est, aller à leur vilenie, sont laids, disgracieux, simiesques: Rondouillards ou gras quand ce sont d’infâmes traîtres peureux, plus sveltes et musclés lorsqu’ils sont appelés à se battre ou à participer à des actions guerrières. Mais même pour eux, les traits du dessin sont d’une perfection pleinement maîtrisée et d’un détail révélateur d’un stupéfiant talent.

Kiwi n°59

Kiwi n°31


Rarement bande dessinée aura été aussi mouvante, gesticulante et imaginative, passionnante et fantastique, d'une insoupçonnable fascination, tenant (et maintenant) les jeunes lecteurs que nous étions en haleine et les projetant dans un rêve tout éveillé dont ils sortaient difficilement.